Review: Bastion linguistique

Alexandru Matei

pp. 16


Untitled DocumentWindows User2018-09-30T17:38:00

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Iulian2018-11-20T08:03:00

Alexandru Matei – Review : Bastion linguistique

L’ouvrage d’Adriana Stan s’origine dans sa thèse de doctorat en philologie mais également dans les années de postdoctorat passées à Cluj, à Paris, à Poitiers, à Londres ou à Lisbonne. Voici un recueil qui ferait l’orgueil de toute maison d’édition européenne (compte tenu, certes, de certains calibrages par rapport au public-cible) : une histoire comparée du structuralisme en Roumanie à partir de l’entre-deux-guerres jusque dans les années 1990.

Le livre présente deux zones de feu dans lesquelles le lecteur est convié alternativement. La première est celle de l’histoire de la réception du structuralisme en Roumanie, dont le champ est dominé à partir de 1964 par la critique littéraire d’accueil. L’auteure a lu à peu près tout ce que l’on ait écrit en matière de théorie littéraire en Roumanie – traduction et articles y compris – et elle réussit à dresser des portraits critiques, longs ou courts, à presque toutes les grandes figures du domaine – auteurs de publications en roumain. À l’exception de Sorin Alexandrescu qui bénéficie d’un chapitre à part, d’autres noms, dont certains plus ou moins tombés aux oubliettes, reçoivent une très méritée reconnaissance : Mihai Pop, folkloriste de taille internationale, Solomon Marcu, mathématicien, Vigil Nemoianu et Thomas Pavel, théoriciens. Ses conclusions illustrent parfaitement la dynamique institutionnelle et discursive de la littérature roumaine à l’époque du communisme : la méfiance par rapport à la théorie est parvenue à élever l’importation de discours occidentaux au statut d’alibi. Vu de l’extérieur, les critiques avaient travaillé à un niveau national (local) limité à de petits dosages ; or, pour eux, ce même niveau apparaissait comme absolu. D’où l’ironiepince sans rire de l’auteure qui fait souvent le délice de lecture, à laquelle vient s’ajouter l’excellente mise en scène des citations. Personne avant Adriana Stan n’a osé un tel chantier.

La seconde zone de feu du Bastion linguistique tient de la dimension comparatiste. L’auteure entreprend un tour de l’histoire est-européenne des structuralismes, en rien superficiel, et survole le rapport toujours tendu entre la pratique linguistique et la politique du champ culturel qui la détermine sur plusieurs coordonnées. L’intervention de Staline de 1950, qui fait que la langue déchue de sa position d’objet idéologique, constitue le point de départ d’une vraie activité de recherche dans l’espace d’occupation soviétique, que la Roumanie intègre à vive allure. L’auteure passe en revue les traditions dans la recherche des langues en Allemagne, en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Russie, puis en Italie et aux États-Unis, pour aboutir à la France. Le quatrième chapitre, Structuralisme et idéologies, nous semble central pour sa recherche : il cartographie avec précision le trajet et les métamorphoses des idéologies de la littérature entre l’Est et le Ouest.

Quant aux recherches théoriques parues notamment en Russie (mais également en Pologne et en Tchécoslovaquie), elles viennent relativiser – lire : remettre en contexte – la réception et la pratique du structuralisme en Roumanie. C’est justement cette contextualisation-là qui justifie les conclusions peu réconfortantes de l’auteure en ce qui concerne la réception, la richesse et l’ingéniosité du discours théorique roumain. Autrement dit, en parcourant le chapitre sur le rapport entre structuralisme et idéologies, le lecteur va mieux comprendre pourquoi, malgré un certain air de famille de la pratique structuraliste en milieu socialiste (entendue comme activité purement scientifique, détachée des contingences historiques, ce qui la rend objectivante mais non-critique), en Roumanie le vaccin anti-idéologique s’est avéré plus fort encore que dans l’URSS elle-même – où, bien que très timidement, Lotman avait essayé de repenser la langue en termes d’histoire. L’étude de l’évolution de la sémiotique et de la narratologie dans la Roumaine des années 1960-1980, dans le champ de la critique et dans celui de l’enseignement de la littérature à l’école, mène aux mêmes conclusions : lorsqu’elles atteignent la Roumanie, les théories littéraires se présentent comme estropiées, amputées de toute valeur sociale autre que l’obéissance à un certain canon esthétique, à la figure du critique-mage, à un immédiat succès de caisse.

Au-delà du structuralisme, suite à des recherches bibliographiques tout à fait impressionnantes, l’auteure entend parler de l’évolution de la théorie littéraire en Roumanie à l’époque du communisme surtout. Ce qui, à vrai parler, est une tâche énorme pour un seul chercheur et dont Adriana Stan s’acquitte à merveille. Compte tenu de toutes les références à la dynamique est-européenne du structuralisme, son ouvrage devient, ainsi, tout européen.

Alexandru Matei

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